Page:Coppée - Discours de réception, 1884.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée

jeune, et en cet instant même, je crois vous entendre murmurer le vers qui termine un de vos plus charmants dizains :

Ma mère, sois bénie entre toutes les femmes !

Toutefois, si heureux que soient les gens de lettres, ils ne sont jamais tout à fait contents ; et tantôt, en commençant votre discours, vous avez laissé échapper une plainte que je vous reproche comme une injustice. Vous nous avez dit que le poète était à peu près banni de la société moderne, vous vous êtes comparé au fugitif des temps mérovingiens, cherchant un lieu de sûreté, un asile dans le cloître de Saint-Martin de Tours. Vous n’en croyez rien, Monsieur ; vous ne prenez pas au sérieux votre rôle de proscrit. Je n’ai point à vous apprendre combien d’admirateurs vous comptez dans cette société qui vous bannit, combien d’admiratrices surtout. J’en sais quelque chose, j’ai fait à ce sujet une pénible expérience. J’avais rencontré dans le monde une de ces femmes qui ne jurent que par vous. Agacé par l’intempérance de son enthousiasme, qui me semblait tenir de l’idolâtrie, l’occasion, le goût de la chicane, la jalousie peut-être et quelque diable aussi me poussant, je lui représentai avec humeur qu’il y avait un choix à faire dans vos œuvres ; que, comme nous tous, vous aviez vos défauts, qu’on vous surprenait à donner de loin en loin dans la manière, dans le procédé, dans une recherche puérile de l’effet ; bref, que vous n’étiez pas toujours égal à vous-même. Le regard qu’elle me jeta… Ah ! Monsieur, on peut être frappé de la foudre et n’en pas mourir ; j’en suis la preuve.