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Reliquaire à vos frais. Deux ans plus tard paraissaient les Intimités ; il ne s’en vendit que soixante-dix exemplaires. Mais enfin, comme par hasard, le Passant fut joué ; le lendemain, tous les échos répétaient votre nom.

Les artistes comme les savants entrent rarement dans la renommée et dans le bonheur par la porte qu’ils avaient choisie. « J’ai cru longtemps, écrivait Voltaire, que Newton avait fait sa fortune par son extrême mérite, que la cour et la ville de Londres l’avaient nommé par acclamation grand maître des monnaies du royaume. Point du tout : Isaac Newton avait une nièce assez aimable ; elle plut beaucoup au grand trésorier Halifax. Le calcul infinitésimal et la gravitation ne lui auraient servi de rien sans sa jolie nièce. » Selon toute apparence, Newton n’aimait pas beaucoup qu’on lui parlât de sa jolie nièce. Vous aviez la vôtre, c’était votre comédie, et vous éprouviez une sourde irritation quand on vous appelait à tout propos l’heureux auteur du Passant. C’est peut-être pour cela que je vous en ai si peu parlé.

Oui, vous avez eu vos peines, vos chagrins, vos tourments, vous avez connu la fatigue des grands efforts, et pourtant vous avez tout pardonné à la destinée. En vérité, vous seriez bien injuste de lui garder rancune. Elle vous a octroyé ses grâces les plus précieuses en vous faisant goûter toute la douceur des affections de famille, en vous faisant naître et grandir près d’un foyer de tendresse toujours allumé,, où vous pouviez à toute heure réchauffer votre courage et vos espérances. Avoir été tendrement aimé dans sa première jeunesse, c’est le privilège suprême ; la vie tout entière en reste