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de dire à l’univers tout ce qui se passe ou pourrait se passer dans leur cœur. C’est une liberté que vous avez souvent prise. On retrouve dans vos poésies intimes, dans vos élégies, les mêmes qualités que dans vos tableaux de genre. Tout y est net, lumineux ; vous avez la sainte horreur du brouillard ; qui pourrait vous en blâmer ? Vous ne connaissez guère ce que nos voisins de l’Est appellent le Weltschmerz, c’est-à-dire la douleur d’être né ou ce pessimisme bilieux qui trouve le monde mal fait et voudrait le refaire. Vos rêves sont presque toujours modestes et, sans bouleverser la terre et le ciel, on aurait bientôt fait de contenter vos ambitions. Dans un moment où vous étiez dégoûté de Paris, il vous a paru que le sort le plus enviable, le plus doux, était celui d’un conservateur d’hypothèques dans une ville très calme et sans chemin de fer. Le sous-préfet vous voulait du bien, vous invitait à dîner, et vous lisiez au dessert votre épître, votre fable ou dos quatrains très mordants, qui ne tardaient pas à courir la ville. On se les redisait tout bas sans nommer l’auteur, et vous aviez le plaisir, tout en gardant vos hypothèques, de dauber sur le prochain sans vous compromettre, sans vous brouiller avec personne... Soyez prudent, Monsieur, il faut se défier des indiscrets ! Une autre fois, vous étiez non pas curé, mais simple vicaire dans quoique vieil évêché de province, un de ces vicaires qui connaissent leurs classiques, mais qui sont encore plus gourmands que latinistes ; on vous comblait de gâteries, de fruits glacés. Votre confessionnal était fort recherché des dévotes, et chaque jour, à la même heure, par la rue où l’herbe encadre le pavé, vous alliez à Notre-Dame