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nourrissait d’aveugles préventions contre vous. « Lisez-le, lui disais-je un jour, en lui présentant les Humbles, et vous changerez d’avis. » Il les ouvrit au hasard, et ses yeux tombèrent sur une pièce intitulée : le Petit Épicier. Il fit la grimace et ne laissa pas de lire. Il allait toujours, il alla jusqu’au bout, et ses yeux disaient : « Eh ! oui, c’est de la vraie poésie. » Il n’en convint pas, les docteurs ne conviennent jamais de rien. Mais il fit mieux ; en me quittant, il acheta le volume. De tous les hommages qu’on peut rendre à un poète, c’est le plus sincère et celui qui le touche le plus.

Vous excellez dans la poésie familière et domestique, dans les tableaux d’intérieur, et vos charmantes petites toiles me font penser aux maîtres de l’école hollandaise, à Miéris, à Terburg, que vous égalez souvent par la précision du faire, par la franchise du trait, par la liberté d’un pinceau toujours exact sans être jamais léché ni minutieux, et aussi, comme on l’a remarqué, par la spirituelle bonhomie de la touche. « Bonhomie vaut mieux que raillerie, » a dit le plus impitoyable des railleurs. On se targue aujourd’hui d’être malin ; mais la malice, qui sert à tout, ne suffit à rien ; c’est la sincérité, c’est l’honnête candeur qui fait l’artiste. Hélas ! le temps des bons enfants est passé ; espérons qu’il reviendra. Aux qualités des peintres hollandais vous en joignez de toutes françaises, la grâce facile, les heureuses rapidités, quelque chose de vif et d’enlevé. Platon avait déjà défini le poète une chose sacrée, ailée et légère. Platon savait ce qu’il disait, n’est pas léger qui veut.

Mais vous n’avez pas chanté seulement les petits bourgeois. Les poètes ont le droit de se chanter eux-mêmes,