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fustigeant ils se donnent les verges à eux-mêmes. Sont-ils malades ou simplement enrhumés, leur mauvaise humeur ressemble beaucoup à celle d’un bourgeois. Ont-ils des chagrins domestiques, leurs yeux se mouillent de larmes très bourgeoises. Éprouvent-ils des disgrâces ou des prospérités d’amour-propre, leurs livres se vendent-ils ou ne se vendent-ils pas, vous les voyez tristes, moroses comme un boutiquier que ses chalands abandonnent pour la maison d’en face, ou ils se frottent les mains comme les gens d’affaires qui en font de bonnes. Hommes de génie, confessez que le fond de l’homme est le bourgeois ! Vous l’avez pensé, Monsieur, et votre muse compatissante, ouvrant ses bras, s’est écriée : « Laissez venir à moi les petits marchands, les petits rentiers ! » Ils sont venus et s’en sont bien trouvés. Vous les avez accueillis, fêtés. Ils, vous ont fait leurs confidences, et vous avez raconté leurs joies comme leurs douleurs avec une bonne grâce exquise. S’il s’y mêlait de temps à autre une pointe de malice, c’était une malice sans amertume et sans venin.

J’aime beaucoup vos petits bourgeois. J’aime surtout certain couple, un vieil homme avec sa vieille femme, que vous avez logés au bout d’un faubourg, près des champs. Vous nous vantez leur bonheur et leur jardin, et il me semble que j’ai vu leur toit pointu, surmonté d’une girouette, leurs carrés de roses, l’ornement de fer sur le vieux puits, la [treille soutenue par des cercles de tonneau ; près du seuil, un paisible chien noir dort au soleil de midi ; les pierrots sautillent sur le sable fin des allées ; le maître de la maison en habit blanc, en chapeau de paille, armé