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que les sons étaient trop absents de sa poésie, qu’on y pouvait cheminer longtemps sans y rencontrer une femme, et qu’il avait trop peu de ce que Musset avait de trop. Un autre lui conseillait de nous prendre pour ce que nous sommes et d’imiter les navigateurs qui donnent des colliers aux sauvages pour sauver la cargaison. Il avait défini l’homme : « Un être demi-dieu et demi-brute », et c’était pour le demi-dieu qu’il chantait. Nous ne sommes pas souvent des demi-dieux, mais nous ne sommes pas toujours des demi-brutes. La plupart du temps, nous sommes de grands enfants, qui aiment à mêler des jeux à leur grosse affaire, qui est de vivre ; et pour nous plaire, il faut que la poésie s’accommode à nos faiblesses, à nos curiosités profanes et qu’elle soit profondément humaine.

J’ai lu quelque part qu’un saint évangéliste avait converti une négresse et en avait fait une bonne chrétienne, à cela près qu’elle ne priait jamais. Il la chapitrait à ce sujet, elle répondait pour se justifier ; — « Je n’ose pas ; que puis-je avoir à lui dire ? Il est si grand et je suis si petite ! » — Après l’avoir grondée, son directeur tâcha de persuader à sa timidité que n’ayant point de morgue, celui à qui elle n’osait parler aimait les petites gens. — « Laissez là vos vains scrupules, disait-il ; invitez-le sans façons à venir vous voir chez vous, soyez sûre qu’il viendra et qu’il vous emmènera chez lui. » On peut appliquer à la poésie ce que l’évangéliste disait de la religion. Si elle veut établir un commerce entre elle et nous, grossiers personnages, si elle veut nous arracher quelques instants à nos dissipations, à nos chagrins, à nos plaisirs, à nos intérêts,