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qui s’épanche, et le flot limpide tombe de haut, tantôt à une fumée d’encens qui ne cesse de monter que lorsqu’elle a rencontré le ciel. La note dominante de son génie était l’adoration, et la plupart de ses poésies sont des cantiques.

Il se proclamait fièrement le soldat de l’idéal ; à mon avis, Lamartine avait mieux trouvé en le baptisant du nom d’Orphée chrétien. Je vous avoue, en effet, qu’appliqué à la poésie et à l’art, ce mot d’idéal ne m’a jamais paru clair et qu’il me semble prêter aux équivoques. Si l’on entend par là une beauté souveraine dont la nature n’offre point le modèle, dont l’imagination ne peut préciser les contours, dont aucune forme ne saurait exprimer la perfection, l’idéal a ce grave défaut que son caractère consiste à n’en point avoir, et qu’est-ce qu’une beauté sans caractère ? Une idée ne devient belle qu’en se réalisant, c’est-à-dire en entrant dans le monde des existences contingentes, où les genres se divisent en espèces, les espèces en variétés, où tout se différencie et se nuance à l’infini. Nous connaissons, vous et moi, des chênes, des sapins et des noisetiers ; nous n’avons jamais vu l’arbre idéal, et j’ajoute que nous sommes peu curieux de le voir. Mais, sans doute, Laprade s’entendait. Il voulait dire qu’il avait eu toute sa vie l’amour du grand, du noble et du pur, qu’il savait les chercher où ils se trouvent, et c’est une gloire que personne ne lui contestera.

Plus d’une fois, la paresse de ses lecteurs s’est plainte des efforts qu’il leur imposait pour le suivre dans ses hardies et périlleuses ascensions. On reprochait à sa muse la hauteur continue de son vol et de pécher par un excès de spiritualité. Un critique lui représenta