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la hauteur et la beauté de son âme ; elle lui révéla un style plus souple, plus familier, sans qu’il cessât d’être lyrique ; elle détendit, elle humanisa, en quelque sorte, son inspiration. Désormais le poète gravira toujours les cimes, mais, à la descente, il s’arrêtera dans les villages, entrera dans les fermes, s’entretiendra avec les laboureurs ; et la grandiose solitude de ses paysages va se peupler de figures touchantes. C’est ainsi qu’il écrit Pernette, et le succès populaire de cet émouvant et charmant récit le récompense de cette rénovation de son talent. Dans cette idylle héroïque, M. de Laprade n’a pas seulement doté les lettres françaises d’un poème qui se peut comparer sans désavantage à l’Hermann et Dorothée de Goethe ; mais, comme pressentant nos prochains malheurs, il a, d’un geste prophétique, montré aux paysans le vieux fusil pendu par deux clous aux murs de la chaumière, l’arme de chasse pendant la paix, d’embuscade aux jours d’invasion, que plus d’un désespéré de nos pays de l’Est devait bientôt emporter sous sa blouse, par les nuits sans lune, et dont les coups mortels firent vider les étriers à bien des éclaireurs allemands.

Quand l’horrible guerre éclata, quand le double désastre de Reichshoffen et de Sedan nous fit monter la rougeur à la face, l’auteur de Pernette, malgré sa barbe grise, aurait bien voulu imiter le héros de son poème, Pierre le franc-chasseur, et saisir à son tour le fusil du volontaire, le mousquet rouillé des Chouanneries et des Guérillas ; car aucun citoyen n’éprouva plus profondément, plus douloureusement que lui cette impression de viol et d’outrage qui alors déchira tous les cœurs. Mais, cloué dans son logis moins par l’Age que