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Aucune analyse ne vaut la vue d’un chef-d’œuvre, et l’éloge doit ici faire place à la citation. Relisons donc ensemble, si vous le voulez bien, un fragment de ce Poème de l’Arbre, où est exprimée, avec une poésie supérieure à toutes les éloquences, la fusion de l’âme humaine et des choses ; relisons ces vers impérissables, qui rayonneront dans le trésor des anthologies comme les planètes. dans le ciel d’une nuit étoilée :

À UN GRAND ARBRE

L’esprit calme des dieux habite dans les plantes.
Heureux est le grand arbre aux feuillages épais ;
Dans son corps large et sain la sève coule en paix,
Mais le sang se consume en nos veines brûlantes.

A la croupe du mont tu sièges comme un roi ;
Sur ce trône abrité, je t’aime et je t’envie ;
Je voudrais échanger ton être avec ma vie,
Et me dresser tranquille et sage comme toi.

Le vent n’effleure pas le sol où tu m’accueilles ;
L’orage y descendrait sans pouvoir t’ébranler ;
Sur tes plus hauts rameaux, que seuls on voit trembler,
Comme une eau lente, à peine il fait gémir tes feuilles.

L’aube, un instant, les touche avec son doigt vermeil ;
Sur tes obscurs réseaux semant sa lueur blanche,
La lune aux pieds d’argent descend de branche en branche,
Et midi baigne en plein ton front dans le soleil.

L’éternelle Cybèle embrasse tes pieds fermes ;
Les secrets de son sein, tu les sens, tu les vois ;
Au commun réservoir en silence tu bois,
Enlacé dans ces lianes où dorment tous les germes.