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Mais la mode est souveraine ; elle a consacré le foyer de la danse comme un terrain neutre où les gens de tous les rangs et de toutes les opinions, pourvu qu’ils soient de bonne compagnie, peuvent se rencontrer. J’y ai vu des personnages fameux à des titres très différents en conversation avec de fort belles paires de jambes. L’héritier présomptif d’une des plus belles couronnes de l’Europe y serrait la main, devant moi, à des personnages politiques de la nuance la plus avancée. Le Prince, qui est père de famille, et même grand-père, eût peut-être mieux fait d’être ailleurs. Du moins, on ne pouvait accuser d’hypocrisie Son Altesse, qui ne cache point son goût du plaisir. Mais, devant les Jacobins en pleine fête, je songeais aux phrases puritaines qu’ils débitent à leurs électeurs. Si j’avais encore eu des illusions sur la sincérité des politiciens, je les aurais perdues au foyer de la danse. Mais déjà, je n’avais plus besoin de rencontrer ces citoyens-là parmi les baladines, pour savoir qu’ils étaient des sauteurs.

En vérité, j’estime davantage ceux qui sautent par métier. On avait dû en augmenter le nombre, à l’Opéra, lors des représentations de la Korrigane; car les danseurs attitrés n’eussent pas suffit pour ce joli « pas des bâtons » exécuté par des gars bretons qui entrechoquent leurs pen-bas. En dehors du théâtre, ces auxiliaires exerçaient tous quelque autre profession, et il y avait parmi eux, notamment, un garçon de recette,