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Aussi, vous me voyez, dans l’horreur qui me mine,
Souffrir comme une mère et comme une orpheline…
Mon frère !… Assassiné par ces brigands hideux !…
C’était si bon, si doux, notre existence à deux,
Dans ce calme logis, dans cette solitude !
Le soir, — ici, tenez ! — il avait l’habitude
De lire une heure, après notre frugal repas.
Je cousais près de lui. Nous ne nous parlions pas.
Mais on se comprend bien sans parler, quand on s’aime ;
Et, comme nous pensions, en tout, toujours de même,
Souvent il arrivait que brusquement nos voix
Rompaient, du même mot, le silence à la fois.
Pour lui, j’ai refusé mariage et famille.
Un cœur de sœur aînée, un cœur de vieille fille,
C’est un coffret d’avare, un trésor plein d’amour ;
Et nous ne nous étions jamais quittés un jour ;
Et quand il s’éloignait seulement pour une heure,
Ma pensée, — oui, la plus aimante et la meilleure, —
Je la gardais pour lui toujours, et la mettais
Dans les mailles des bas que je lui tricotais.
C’est fini, tout cela, c’est enfoui sous terre.
Mais, va ! je ne suis pas ingrate, pauvre frère !
Je ne permettrai pas qu’on ose me parler
De m’essuyer les yeux et de me consoler.
Mon bonheur de jadis, — reçois-en l’assurance, —