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encore en pensée avec ses Bretons, avec les gens de mer qui avaient peut-être pêché ce magnifique turbot. Il se rappelait ce lendemain de tempête, ce matin pluvieux et gris, où, se promenant devant les lourdes lames couleur de plomb, il avait rencontré sous ses pas et reconnu le corps de ce vieux marin père de famille disparu en mer depuis trois jours, cette lugubre épave, échouée dans le varech et dans l’écume, si navrante à voir avec ses cheveux gris de noyé, pleins de sable et de coquillages.

Un grand frisson lui passa dans le cœur.

Mais les laquais avaient déjà enlevé les assiettes, fait disparaître toute trace du poisson géant ; et, tandis qu’on servait un autre plat, les dîneurs élégants et frivoles avaient repris leurs causeries. La faim étant déjà un peu apaisée, ils s’animaient, parlaient avec plus d’abandon. De légers rires couraient. Oh ! la charmante et gracieuse compagnie.


Alors, le Rêveur, l’hôte silencieux, fut pris d’une tristesse infinie ; car tout ce qu’il faut de travail et de douleur pour créer le confortable et le bien-être venait de surgir devant son imagination.