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glisser sur le tapis épais, le sommelier nommait les vins à l’oreille des convives sur le ton de la confidence et comme s’il leur révélait un secret dont sa vie aurait dépendu.

Dès le potage, — un consommé tout ensemble onctueux et énergique, qui vous emplissait l’estomac de force et de jeunesse, — les causeries entre voisins avaient commencé. Sans doute, ce furent d’abord des banalités qu’on échangea à demi-voix. Mais quelle politesse dans les sobres gestes ! Quelle bienveillance dans les regards et dans les sourires ! D’ailleurs, aussitôt après le Château Yquem, l’esprit flamba. Ces hommes, vieux ou très murs pour la plupart, tous remarquables par la naissance ou par le talent, ayant beaucoup vécu, pleins d’expérience et de souvenirs, étaient faits pour la conversation, et la beauté des femmes présentes leur inspirait le désir de briller, excitait leurs intelligences courtoisement rivales. De jolis mots pétillèrent, des saillies soudaines prirent leur vol, des entretiens à deux, à trois personnes, se formèrent. Un fameux voyageur, au teint bronzé, récemment revenu du fond des déserts, contait à ses deux voisins une chasse aux éléphants, sans fanfaronnade aucune,