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cette ignorante et candide enfant, enfouie jusque-là au fond de cette province, dans cette maison claustrale, a-t-elle senti tout à l’heure son cœur tressaillir pour la première fois. Et maintenant elle est navrée en songeant que ce jeune homme dont la vue la trouble, qu’elle va aimer, qu’elle aime déjà, n’a plus que quelques mois, que quelques jours à vivre. Ces larmes qui lui viennent aux yeux, c’est le regret de son espoir d’amour, à peine né, si tôt déçu. Le malheureux qu’il est ! Une femme le pleure, en sa présence, de son vivant !

C’est fini. Le charme est rompu. Rempli d’horreur, le cœur battant à grands coups, Félix Travel tombe alors dans un morne silence. A toutes les obligeantes questions de ses hôtes, il ne répond que par des monosyllabes, des phrases confuses. Fuir ! il ne pense plus qu’à fuir ! Dès qu’on se lève de table, il s’excuse avec maladresse, se déclare plus souffrant. Et ce prêtre et ces femmes, avec leurs façons affectueuses, leurs recommandations inquiètes, lui deviennent odieux. « Enveloppez-vous bien... Prenez garde de prendre froid. » Oh ! les gens importuns !

Enfin, le voilà dehors, libre. Il s’en va, cherchant à reconnaître son chemin dans les rues