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Depuis lors, tous les dimanches, Mme Bernard revint au cimetière, et, chaque fois, elle put constater qu’Henriette avait apporté dès le matin son souvenir parfumé.

Le temps passa. Avec les saisons, les fleurs varièrent ; mais ce furent toujours celles de la flore faubourienne, celles qu’on vend dans les petites charrettes à bras, le long des trottoirs. Aux bouquets de violettes succédèrent les poignées de giroflées, les branches de lilas, les bottes de roses. Devant tant de constance, Mme Bernard désarmait peu à peu. Le sentiment de cette Henriette était-il donc plus fort, plus durable qu’elle n’avait cru ? Pourquoi pas ? Armand était si aimable, si séduisant ! En s’attendrissant sur son fils mort, la mère devenait plus clémente pour celle qui l’avait aimé. Si, un jour, elle avait rencontré la jeune fille, peut-être se fût-elle jetée dans ses bras et l’eût-elle traitée en égale devant la douleur. Pourtant, à chaque bouquet nouveau, Mme Bernard éprouvait une sorte d’étrange dépit. Elle était toujours jalouse d’Henriette, jalouse de ses regrets et de son chagrin, et elle était encore sa rivale par les larmes.