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enfant du peuple, cette pauvre amoureuse, dont la faute était si pardonnable et à qui la dureté des lois sociales refusait la consolation d’embrasser son amant à l’agonie, put du moins reposer un instant son front lourd de douleur sur un sein de femme et y sentir palpiter un peu de maternelle pitié.

Tous les soirs, Henriette vint donc prendre des nouvelles d’Armand chez la mère Renouf. Elle y venait après avoir fait sa journée. Car c’est ainsi pour les pauvres. On a beau avoir son plein cœur de chagrin, il faut quand même travailler, gagner sa vie. Par la boue et le brouillard de la nuit d’hiver, elle se hâtait sous les arcades de la rue de Rivoli, traversait le désert du Carrousel, et ceux qui voyaient, dans la lumière crue de l’électricité, filer cette grisette au pied vif et à la jupe troussée, pouvaient s’imaginer, hélas ! qu’elle courait à un rendez-vous galant. Mais dès qu’elle arrivait sur le pont des Arts, Henriette ralentissait le pas. Là-bas, sur le quai, à une fenêtre qu’elle connaissait bien, elle distinguait de loin une faible lueur. C’était là que son bien-aimé se débattait contre la mort. Alors elle était envahie d’une lâcheté subite et s’attardait pour reculer le moment