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elle, et, dans l’après-midi, pendant que la tante est aux vêpres, elle s’installe sur un coin de la table à manger, dispose le papier, la petite bouteille d’encre, choisit une plume neuve, la mouille entre ses lèvres, puis tombe dans une rêverie et ne sait que dire. Elle n’a plus tant de honte, à présent, de sa grosse écriture et de ses fautes d’orthographe. Armand lui a dit tant de fois qu’il les aimait, qu’il aimait tout ce qui venait d’elle ! Mais, comme lui, elle ne saura jamais inventer ces jolis mots, ces mignonnes façons de dire : « Je t’aime ! » Aussi les premières lignes de sa réponse sont toujours maladroites, embarrassées. Mais bientôt elle se laisse entraîner par son sentiment, elle écrit à son amoureux comme s’il était là, comme si elle lui parlait ; et alors, au hasard de la plume, sans s’en douter, elle rencontre de saisissantes images, de charmantes trouvailles de style. Ainsi,— un jour qu’elle veut rassurer Armand, qui, presque jaloux dans son exil, lui a demandé avec inquiétude : « Es-tu vraiment bien à moi ? »— elle répond, éloquente de passion : « Je suis à toi, mon bien-aimé, comme un couteau que tu aurais dans ta poche, bon pour tuer un homme ou pour éplucher un fruit ».