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moqué des filles, passant pour idiot parce qu’il était farouche, et n’étant jamais allé à la ville, située à trois lieues de là, il était ainsi devenu un grand et vigoureux jeune homme, quand la conscription l’avait pris et envoyé au 75e de ligne.

Les premiers temps au régiment, dire que c’étaient là ses seuls bons souvenirs ! Pour la première fois, ce paria, ce souffre-douleurs, avait connu le sentiment de l’égalité, de la justice. L’uniforme était trop épais en été, trop mince en hiver, mais tous les soldats le portaient ; le « rata » de l’ordinaire soulevait le cœur bien souvent, mais les autres le mangeaient comme lui. A la chambrée, dans un lit tout près du sien, couchait un vicomte qui s’était engagé après quelques fredaines. On se tutoyait entre camarades. Ici — quelle surprise ! — un homme valait un homme ; et, pour s’élever au-dessus du niveau, pour sortir du rang, une seule vertu suffisait : l’obéissance. Il la pratiqua, sans effort. Plus intelligent, moins illettré que la plupart des lourdauds à pantalon rouge, il avait gagné au bout de la première année de service ses galons de caporal ; au bout de la deuxième, sa sardine de sergent. Maintenant, les tourlourous