Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t3, 1890.djvu/295

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’elle, de ses yeux si lumineux, si purs, où brûlait une flamme de pensée.

Cependant un autre souvenir vient de traverser la rêverie de M me Bernard.

Elle songe maintenant au seul ami de son mari qui soit devenu le sien, au seul homme qui fasse s’émouvoir en elle une sympathie tendre.

Voilà plusieurs années que, tous les jeudis, — c’est son « jour », — vers les six heures, moment où elle n’est jamais seule, le colonel de Voris se présente chez elle, froid, correct, un peu raide même dans sa redingote militairement boutonnée, qu’il s’assied dans le cercle des dames, se mêle avec effort aux banalités de la conversation, refuse une tasse de thé et se retire, après une visite d’un quart d’heure. Il l’aime, elle en est certaine, et tant de respect, de timidité, la touche, surtout chez le héros de Saint-Privat, qui, ayant eu son cheval tué sous lui, avait ramassé un fusil de munition, comme Ney en Russie, et ramené au combat ses troupes débandées. Il l’aime ! Au « shake-hand » de l’adieu, elle a toujours senti trembler la main droite du colonel, cette main trouée d’un coup de lance allemande, que par pudeur de sa cicatrice