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traverse sa face boucanée grisonne déjà. En tout cas, il n’a pas honte de sa misère. Il a crânement campé en arrière son vieux feutre rongé par le soleil ; dans son visage couleur de cuir ses durs yeux bleus étincellent d’audace ; et il va pieds nus pour ménager sans doute la paire de gros souliers à clous bouclée sur son sac de soldat. Le pas ferme et la tête haute, ayant dans toute sa personne on ne sait quoi d’effronté et de militaire, l’homme suit un sentier très étroit entre deux grandes pièces de blé, et les hauts épis lui viennent presque jusqu’à l’épaule.

Il ne sait pas où ce chemin le conduit.

Autour de lui, la plaine s’étend à perte de vue, déserte, immobile dans la grosse chaleur de Juin.

A sa droite, des blés, des seigles, des avoines ; à sa gauche, des avoines, des seigles, des blés. Là-bas, seulement, un long rideau de peupliers, vers lequel vole un corbeau ; et plus loin, beaucoup plus loin, les collines boisées, d’un bleu tendre dans la brume grise de l’horizon.

L’homme suit le sentier monotone. Ici, la moisson foisonne de bleuets ; là, de coquelicots. Tout près de lui, un grillon crie plus fort que les autres, comme exaspéré. L’homme s’arrête ; le grillon se