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que m’a causées ce sentiment, né en une minute, étouffé aujourd’hui, hélas ! mais qui seul est capable de conserver encore chaud un petit foyer dans le tas de cendres de mon cœur, et dont le souvenir ressuscité — tu peux t’en apercevoir — fait trembler ma voix en ce moment même. Avoir trente ans, c’est-à-dire être sorti sain et sauf, mais meurtri, des orages de la première jeunesse, connaître le néant des passions de tête et des passions sensuelles, avoir subi leurs dégoûts et leurs amertumes, et puis, tout à coup, aimer purement une très jeune fille, rien n’est plus exquis ! Les meilleurs instants de ma vie sont ceux que j’ai passés chez Mme de Hansberg, assis à côté de Mlle Elsa, lui parlant — et seulement pour avoir la joie qu’elle me répondît — d’un rien, d’un conte d’Andersen que je venais de lire, de ma promenade à cheval, sous les beaux hêtres de Kronborg, devant l’horizon du Sund.

« Que c’est bon d’aimer avec ce respect profond, ce désintéressement parfait, d’être éperdument heureux pour tout un jour parce qu’il vous a semblé que l’être adoré a eu pour vous, la veille, une bonté dans le regard, une douceur dans la voix ! Vois-tu ! j’ai été alors dans un état d’âme qui,