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la mienne est celle d’un homme délicat. La Fontaine l’a dit : « Les délicats sont malheureux, » et il a exprimé ce jour-là, comme toujours, une pensée bien fine et bien vraie.

« Tu te souviens peut-être qu’en 1873 — je n’avais que trente ans alors et mes camarades avaient la bonté de m’appeler le beau Georges — je fus envoyé en qualité de second secrétaire auprès du baron de N..., ministre de France en Danemark. Ce vieux diplomate de carrière, homme excellent, sans ambition, paternel pour les jeunes gens placés sous ses ordres, et qui n’a jamais eu d’autres ridicules que sa perruque acajou, occupait depuis quinze ans le poste de Copenhague. Il avait adopté les mœurs danoises, qui sont pleines de bonhomie, et il était connu et estimé de tout le monde. Que de coups de chapeau n’a-t-il pas donnés quand il traversait le Kongs’Nitor, ou quand il allait, tous les soirs, entre huit et neuf heures, au Jardin-Tivoli, prendre une « délicatesse », comme on dit là-bas, c’est-à-dire manger une côtelette de veau, arrosée de deux ou trois chopes ? A combien de voyageurs de distinction n’a-t-il pas fait admirer les nobles et froides statues du Musée Thorwaldsen et l’épée de fer de