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d’y monter, côte à côte avec les modistes en robes éclatantes, et à peine le cirque mécanique se fut-il ébranlé au son de l’orgue, — qui rugissait l’air alors célèbre de la Femme à barbe, — ô confusion ! j’aperçus à deux pas de moi, au premier rang des badauds, mon correspondant à Paris, le vieil ami de ma famille, le respectable M. Toupet-Laprune, notaire honoraire, dont le regard me foudroyait à travers ses lunettes d’or. Et aucun moyen de se dérober, de fuir ! Et les chevaux de bois tournaient toujours !... Il y a de cela vingt-trois ans ; mais je n’entends jamais l’air de la Femme à barbe sans un frisson de terreur rétrospective.

Quand nous sommes au coin du feu, le commandant et moi, nous nous remémorons ordinairement toutes ces juvéniles folies ; mais, l’autre soir, — je ne sais quel vent de spleen avait soufflé sous la porte, — nous étions moroses et silencieux. Dulac s’obstinait à regarder le feu à travers son monocle, et moi, plein d’ennui, je broutais la prose de la feuille du soir, allant du premier-Paris — où l’Angleterre était menacée, si elle n’écoutait pas les conseils du journaliste, de perdre son empire des Indes — jusqu’aux réclames de la