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de la vie, par ses efforts d’intrigant et de faux poète. Enfin, six mois après, il reçut une lettre d’Anna, la dernière, datée de l’hôpital Cochin, où la malheureuse fille se mourait de chagrin et de consomption ; lettre admirable, débordante de miséricorde et de générosité, où la martyre pardonnait à son bourreau, où toutes les blessures qu’il lui avait faites devenaient des bouches pour crier encore : « Je t’aime ! »

Le sec et méchant cœur de Marius fut un peu remué, malgré tout. Le poète fut assez heureux pour arriver à temps à l’hôpital et recueillir son pardon sur la bouche expirante de sa maîtresse, et empêcher que ce corps charmant n’échouât sur la table d’amphithéâtre. Il mit même sa montre en gage et loua pour la morte un terrain de cinq ans au Champ des Navets.

Seulement, — oh ! par hasard, — il avait gardé les lettres.

Et, plusieurs années plus tard, quand l’insuccès de ses Pyrénéennes fut bien constaté, même pour lui, un soir d’hiver qu’il se chauffait mélancoliquement les tibias, il se les rappela, ces lettres ; il les retrouva parmi ses paperasses, les relut, en comprit la touchante beauté...