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chaque soir, opérait ce miracle de remplir l’Odéon de jeunes « clubmen » en gilets à cœur. Cet engouement du Paris blasé — légitime, par hasard, car Sylvandire est une fille atroce, mais une exquise comédienne, — était surtout causé par le regard dont elle soulignait le mot « peut-être » à la fin du troisième acte de la Petite Baronne. Ce regard, chef-d’œuvre de perversité et de « bovarisme », ce regard qui exprimait et résumait toute la poésie malsaine de l’adultère, avait suffi pour transformer le provincial Odéon en rendez-vous élégant, en centre de la « haute vie ». Surpris d’abord et ahuri par le succès, le directeur n’avait pas tardé à reprendre ses esprits et s’était mis à la hauteur de la situation. Pour remplir les longs entr’actes de la Petite Baronne, — la pièce, jolie d’ailleurs, se composait de quatre petits tableaux, de vingt-cinq à trente minutes chacun, — il avait rétabli l’orchestre ; non le vieil orchestre odéonien qui râpait des valses surannées, mais un double quatuor de virtuoses choisis, jouant avec un ensemble parfait un peu de bonne musique et berçant les conversations des mondaines, en train de picorer des fruits glacés dans leurs loges, au gazouillement des fauvettes d’Haydn et des rossignols