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mains jusqu’au fond des infortunes. Pourquoi ces êtres d’élite n’auraient-ils pas des jouissances d’exception ?

Il se dit, le Rêveur, qu’il a été injuste. C’étaient de vieux sophismes, bons tout au plus pour les clubs de faubourgs, qui se sont réveillés dans sa mémoire et dont il a été dupe. Est-ce possible ! Il a honte de lui-même.

Mais le dîner touche à sa fin, et tandis que les laquais remplissent une dernière fois les coupes de vin de Champagne, le silence s’établit. Les convives sentent la fatigue de la digestion qui commence. Le Rêveur les regarde alors l’un après l’autre, et tous ces visages ont une expression blasée et assouvie qui l’inquiète et qui le dégoûte. Un sentiment obscur, inexprimable, — mais si amer ! — proteste quand même, au fond de son cœur, contre ces repus ; et, quand on se lève enfin de table, il se répète tout bas, obstinément :

« Oui ! ils sont dans leur droit..... Mais, savent-ils, savent-ils bien que leur luxe est fait de tant de misères ?... Y pensent-ils quelquefois ?... Y pensent-ils aussi souvent qu’il faudrait ?... Y pensent-ils ? »