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de son du troupier ; et pour qu’il arrive là, sur la table du riche, il a fallu le patient labeur de bien des pauvres.

Le paysan a labouré, semé, récolté. Il a poussé sa charrue ou conduit sa herse dans les terres grasses, sous les froides aiguilles de la pluie d’automne ; il s’est réveillé, plein de terreur pour son champ, quand il tonnait, la nuit ; il a tremblé en voyant passer les gros nuages violets, chargés de grêle ; il est sorti, sec et noir, de l’énorme travail et des sueurs épuisantes de la moisson.

Et quand le vieux meunier, tordu par les rhumatismes qu’il a attrapés dans les brumes de la rivière, a envoyé la farine à Paris, les forts de la Halle, aux grands chapeaux blancs, ont porté les sacs écrasants sur leurs larges dos, et, la nuit dernière encore, dans la cave du boulanger, les geindres ont râlé jusqu’au matin.

Oui, vraiment ! Il a coûté tous ces efforts et toutes ces peines, le petit pain rompu distraitement par ces mains blanches de patriciens.

C’est maintenant une obsession pour l’incorrigible Rêveur. Les délicatesses de ce repas ne lui rappellent que les souffrances humaines. Tout à l’heure, quand le sommelier lui a versé un verre de chambertin,