Page:Coppée - Œuvres complètes, Prose, t1, 1892.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de blousards, hurlant sur un rythme monotone le cri furieux : A Berlin ! Puis un soudain tonnerre de tambours couvrait tout ce tumulte. C’étaient les régiments de la garde qui s’en allaient à la gare de l’Est, et Gabriel apercevait sur la chaussée, au-dessus des têtes des curieux, dans le défilé confus des shakos noirs des chasseurs de Vincennes ou des bonnets à poil des grenadiers, l’aigle d’or d’un drapeau ou l’aigrette d’un colonel à cheval.

Cette émotion militaire, cet appareil guerrier, faisaient passer dans l’esprit du fils de la veuve des rêves de combats et de gloire. Il voyait, le matin d’une bataille rangée, la ligne sombre des troupes à perte de vue, les estafettes au galop, toutes petites, dans la plaine. Il était là lui-même, l’arme au pied, au premier rang de la colonne d’attaque. Puis c’étaient les coups sourds du canon, les clairons sonnant la charge, le départ à la baïonnette, des témérités de zouave ; et tout là-bas, en haut de la colline, près d’un moulin déchiqueté par la mitraille, au milieu des canonniers râlant sur leurs pièces, il se reconnaissait encore dans ce simple soldat qui plantait un drapeau parmi la fumée rouge, au soleil.

Il arriva, en flânant ainsi,jusqu’à la gare de Stras-