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des moulins au bord de l’eau, et les chevaux las menés à l’abreuvoir, et les chasses matinales dans le brouillard, autour du feu de sarment, abrégées par les histoires merveilleuses. Il découvrait en lui-même une source d’imagination jusqu’alors inconnue, trouvant une volupté singulière au seul récit de ces choses douces, calmes et monotones.

Une crainte le troublait pourtant, celle que Savinien ne vînt à connaître son passé. Parfois il lui échappait un mot ténébreux d’argot, un geste ignoble, vestiges de son horrible existence d’autrefois, et il éprouvait la douleur d’un homme de qui les anciennes blessures se rouvrent ; d’autant plus qu’il croyait voir alors, chez Savinien, s’éveiller une curiosité malsaine. Quand le jeune homme, déjà tenté par les plaisirs que Paris offre aux plus pauvres, l’interrogeait sur les mystères de la grande ville, Jean-François feignait l’ignorance et détournait l’entretien ; mais il concevait alors sur l’avenir de son ami une vague inquiétude.

Elle n’était point sans fondement, et Savinien ne devait pas rester longtemps le naïf campagnard qu’il était lors de son arrivée à Paris. Si les joies grossières et bruyantes du cabaret lui répugnaient