férence des citadins, et, du fond de son gouffre, il
lança une telle lueur de pourpre que tout le paysage
en fut incendié. Les solitudes du ciel rougirent,
comme prises de pudeur ; le fleuve roula dans ses
flots du sang et des roses ; et les façades des maisons
et les visages des passants eux-mêmes se colorèrent
de ce reflet érubescent.
Mais le bouquineur, assis devant le café d’Orsay,
observa vainement les physionomies, écouta vainement
les fragments d’entretiens de ceux qui défilaient
devant lui. C’étaient des artisans silencieux
revenant vers la soupe du soir, courbés par
le labeur, les yeux fixés au sol ; c’était un couple
d’hommes de lettres en train de déchirer un confrère ;
c’étaient des gens de négoce et de finance
absorbés dans un calcul mental, rêvant à quelque
stratagème contre le bien du prochain ; c’était une
jolie femme dont les regards ne cherchaient que la
flatterie caressante des autres regards.
Aucun de ces êtres-là ne se souciait du coucher
du soleil.
Seul, un bourgeois, qui donnait le bras à son
épouse, daigna jeter les yeux sur l’horizon ; puis il
prononça ces simples paroles :
« Le ciel est rouge... C’est signe de vent. »
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