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Il faisait beau. La rue avait un air joyeux.
D’une école sortait une bande de gosses.
Les charrettes à bras et leurs humbles négoces
De verdure et de fruits parfumaient le trottoir ;
Et des couples, parmi la poudre d’or du soir,
Passaient, heureux, chacun auprès de sa chacune.
Marc Lefort, remâchant sa bile et sa rancune,
Errait, les poings serrés d’un geste machinal.

Renvoyé ! Pour son nom signé dans ce journal !
Pour ses opinions, mis à pied sans réplique !
Ça, c’était un peu fort. Voilà leur République
De vendus, où le peuple est traité comme un chien !…
Alors on ne pouvait plus être un citoyen,
Parler tout haut, avoir son avis et le dire ?
Meurs de faim, ou tais-toi ! C’est pis que sous l’Empire.
Trop heureux de ne pas attraper de prison.
Ah ! misère ! Avec leur chimie, ils ont raison,
Les Russes. Si l’on veut renverser la marmite
Des bourgeois, il faudra prendre la dynamite
Et les faire sauter, dût-on sauter avec !…

Puis, dans un café borgne, ayant la gorge à sec,
Marc s’établit et but, coup sur coup, trois absinthes.