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Ce lieu farouche était bien choisi pour un bagne.
D’un côté, le désert ; de l’autre, la montagne ;
Çà et là, seulement quelques dattiers poudreux ;
Et, brûlante prison qui, sur ces malheureux,
Gardiens et prisonniers, la nuit, devait se clore,
Un blockhaus sur lequel le drapeau tricolore
Se déroulait au vent, dans l’azur infini.
Ce fort, assez peu sûr, mais pourtant bien garni
De riz et de biscuits, d’armes et de cartouches,
Avec ses deux canons montrant leurs sombres bouches,
Dressait sur l’horizon son profil menaçant.

Les soldats étaient trente, et les déportés cent.

Un jour, à l’heure où l’aube, en déchirant ses voiles,
Fait taire les lions et pâlir les étoiles,
Et comme les soldats allaient, fusils chargés,
Conduire à leur travail les anciens insurgés,
Tout à coup, s’élançant des ravins les plus proches,
Blancs fantômes surgis au loin parmi les roches.
En long burnous, montés sur leurs fins chevaux gris,
Et jetant leurs fusils en l’air avec des cris
Où se mêle le nom de leur Dieu qu’ils adjurent,
Les Bédouins du désert, de tous côtés, parurent.
Deux tribus, qui semblaient depuis longtemps dormir,