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— « Ah ! monsieur, me disait, en sanglotant bien fort,
La vieille, devenue en peu de jours caduque, —
Quand on perd, à mon âge, un enfant qu’on éduque,
C’est trop dur !… Et bientôt, j’en mourrai, Dieu merci !…
Je ne sais pas pourquoi je reste encore ici ;
Car je perds la mémoire, un rien me bouleverse,
Et je n’ai plus la tête à mon petit commerce.
Autrefois, si j’étais âpre à gagner du pain,
C’était pour partager avec mon chérubin.
Maintenant, mon chagrin me nourrit… Que m’importe
Le reste ?… Voyez-vous ! je suis à moitié morte ;
J’aurais cent ans, monsieur, que je serais moins bas !…
Un client, qui me prend tous les jours les Débats,
Un bien brave homme, allez ! qui plaint les misérables,
M’a promis de me faire admettre aux Incurables…
Eh bien, soit !… J’irai là mourir un de ces jours… »

Que pouvais-je répondre à ce navrant discours ?
Que faire pour calmer une douleur si grande ?
Hélas ! rien. Et depuis, chez la pauvre marchande,
Quand j’entrais acheter quelques journaux du soir,
J’étais muet devant cet affreux désespoir.

Vers ce temps, – ce n’est plus pour nous une surprise, –
Notre gouvernement était en pleine crise.