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Leur dit-il, que je suis entré dans la marine
Et que j’ai pris la mer sur la Belle-Honorine,
Un trois-mâts éreinté, pourri, tout au plus bon
A brûler, qui faisait voile pour le Gabon,
Avec le vent arrière et la brise bien faite.
J’avais grandi, pieds nus, à pêcher la crevette
Avec un vieux — mon oncle, à ce qu’on prétendait, —
Qui rentrait tous les soirs ivre et qui me battait.
Tout enfant, j’ai beaucoup pâti, je puis le dire ;
Mais, une fois à bord, ce fut encor bien pire,
Et c’est laque j’appris à souffrir sans crier.
Primo : notre navire était un négrier,
Et, dès qu’on fut au large, on ne tint plus secrète
L’intention d’aller là-bas faire la traite.
Le capitaine était toujours rond comme un œuf
Et menait l’équipage à coups de nerf de bœuf.
Tous retombaient sur moi ; — la chose est naturelle,
Un mousse ! — Je vivais au milieu d’une grêle
De coups ; à chaque pas sur le pont, je tremblais,
Et je levais le bras pour parer les soufflets.
Ah ! nul n’avait pitié de moi. C’était bien rude ;
Mais dans les temps d’alors, on avait l’habitude
D’assommer un enfant pour en faire un marin ;
Et je ne pleurais plus tant j’avais de chagrin.
Enfin j’aurais fini par crever de misère,