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Qu’ils fussent les plus vils au-dessous des plus vils,
Puisqu’ils pouvaient s’aimer, à peine y songeaient-ils.
Pauvres et nus, cherchant à grand’peine leur vie,
Ils ne connaissaient pas la colère et l’envie ;
Et le guerrier mahratte au drapeau triomphant,
Ni le riche nabab qui, sur son éléphant,
Fume à l’ombre d’un dais, les jambes accroupies,
Et rêve au monceau d’or de ses lacks de roupies,
Ni le brahmane altier, que fait riche et puissant
Une idole aux vingt bras peinte en couleur de sang,
Et qui, dans le secret des pagodes fermées,
Voit se tordre à ses pieds les danseuses pâmées,
Ni même l’orgueilleux descendant de Timour,
Ne leur semblaient heureux, n’ayant pas leur amour.

Sangor, superbe Indou d’une force indomptée,
Était rameur à bord d’une barque pontée,
Car, comme un musulman en était le patron,
Des parias pouvaient y tirer l’aviron ;
Et, descendant le Gange, elle faisait escale
Pour prendre ou déposer dans les ports du Bengale
Ses cargaisons d’ivoire et de bois précieux.
Lorsque son cher Sangor était loin de ses yeux,
L’amoureuse Djola, triste comme une veuve,
Descendait tous les jours sur la rive du fleuve ;