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Quel poème navrant dans cette morne épave !
Le boulet du forçat ou le fer de l’esclave
Sont-ils plus lourds que toi, soulier du vagabond ?
Pourquoi t’a-t-on laissé sous cette arche de pont ?
L’eau doit être profonde ici. Cette rivière
N’a-t-elle pas été mauvaise conseillère
Au voyageur si las et de si loin venu ?
Réponds ! S’en alla-t-il, en traînant son pied nu,
Mendier des sabots à la prochaine auberge ?
Ou bien, après t’avoir perdu sur cette berge,
Ce pauvre, abandonné même par ses haillons,
Est-il allé savoir au sein des tourbillons
Si l’on n’a plus besoin, quand on dort dans le fleuve,
De costume décent et de chaussure neuve ?

En vain je me défends du dégoût singulier
Que j’éprouve à l’aspect de ce mauvais soulier
Trouvé sur mon chemin, tout seul, dans la campagne.
Il est infâme, il a l’air de venir du bagne ;
Il est rouge, l’averse ayant lavé le cuir ;
Et je rêve de meurtre, et j’entends quelqu’un fuir
Loin d’un homme râlant dans une rue obscure
Et dont les clous sanglants ont broyé la figure !

Abominable objet sous mes pas rencontré,