Page:Coppée - Œuvres complètes, Poésies, t2, 1892.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Et, fermant l’horizon, un pont d’une seule arche.
Le courant murmurait, en inclinant les joncs,
Et les poissons, avec leurs sauts et leurs plongeons,
Sans cesse le ridaient de grands cercles de moire.
Le loriot et la fauvette à tête noire
Se répondaient parmi les arbres en rideau ;
Et ces chansons des nids joyeux et ce bruit d’eau
Accompagnaient ma douce et lente flânerie.

Soudain, dans le gazon de la berge fleurie,
Parmi les boutons d’or qui criblaient le chemin,
J’aperçus à mes pieds, – premier vestige humain
Que j’eusse rencontré dans ce lieu solitaire, –
Sous l’herbe et se mêlant déjà presque à la terre,
Un soulier laissé là par quelque mendiant.

C’était un vieux soulier, sale, ignoble, effrayant,
Éculé du talon, bâillant de la semelle,
Laid comme la misère et sinistre comme elle,
Qui jadis fut sans doute usé par un soldat,
Puis, chez le savetier, bien qu’en piteux état,
Fut à quelque rôdeur vendu dans une échoppe ;
Un de ces vieux souliers qui font le tour d’Europe
Et qu’un jour, tout meurtri, sanglant, estropié,
Le pied ne quitte pas, mais qui quittent le pied.