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De pâles voyageurs, aux figures chagrines,
Regardent, en collant leurs fronts las aux vitrines,
Les machines qui vont les entraîner si loin,
Chacun d’eux, sans le dire à l’autre, dans son coin,
Se sentant envahir par l’effroi taciturne
Qui nous prend au début d’un voyage nocturne.
— Un départ est toujours triste ; mais ce départ
Semble vraiment empreint d’une tristesse à part.
D’abord, c’est un convoi de pauvres. Règle austère :
Qu’il s’en aille en voyage ou qu’il s’en aille en terre,
Vivant ou mort, le pauvre a sa voiture à lui.
Et puis, ceux-là qui vont habiter aujourd’hui,
Pendant toute une veille, en ces sombres voitures,
Qui devront endurer, tremblantes créatures,
Le froid de l’insomnie et le froid de l’hiver,
Et que l’on jettera demain, prés de la mer,
Devant les paquebots couverts de voiles blanches,
Dont ils devront franchir le passage de planches
Pour retrouver encor la nuit des entreponts ;
Ces paysans, honteux de passer vagabonds
Et que soutient à peine un espoir chimérique,
Ce sont des émigrants qui vont en Amérique.
Voilà de bien longs jours déjà qu’ils sont partis
Le père tout chargé de paquets et d’outils,
La mère avec l’enfant qui pend à la mamelle