Un pianiste, chef d’orchestre sans bâton,
Et non loin d’un troupier soufflant dans un piston,
Il écoutait, distrait, et sans les trouver drôles,
La chanteuse fardée et montrant ses épaules,
Le baryton barbu, gêné dans ses gants blancs,
Et le pitre aux genoux rapprochés et tremblants,
En grand faux col, faisant des grimaces atroces
Et contant au public charmé sa nuit de noces.
Vers minuit seulement, enfin il se levait,
Rentrait, ouvrait parfois ses livres de chevet,
Mais de lire n’ayant même plus l’énergie,
Il se couchait, afin d’épargner la bougie.
Cela dura cinq ans, dix ans, quinze ans. Hélas !
Quinze fois, quand revint la saison des lilas,
Dans la rue, il put voir, par les soirs de dimanches,
Les fillettes du peuple, en fraîches robes blanches,
Près du trottoir, où sont les pères indulgents,
Jouer à la raquette avec les jeunes gens,
Tandis qu’il s’éloignait, toujours seul, le timide.
Il ne passa jamais devant la pyramide
Des bols à punch ornant le comptoir d’un café,
Où souvent il avait, au passage, observé
De vieux garçons, amis des voluptés sans fièvres,
Brassant les dominos, la pipe entre les lèvres,
Page:Coppée - Œuvres complètes, Poésies, t1, 1885.djvu/264
Cette page n’a pas encore été corrigée