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Un lit à l’hôpital, mon corps au carabin,
C’est un sort pour un gueux comme moi, je suppose ;
Mais pour ma femme et mes petits, c’est autre chose.

Donc, je veux retourner tout seul sur les chantiers.
Mais, avant tout, il faut que vous le permettiez
Pour qu’on ne puisse pas sur moi faire d’histoires.
Voyez ! J’ai les cheveux tout blancs et les mains noires,
Et voilà quarante ans que je suis forgeron.
Laissez-moi retourner tout seul chez le patron.
J’ai voulu mendier, je n’ai pas pu. Mon âge
Est mon excuse. On fait un triste personnage
Lorsqu’on porte à son front le sillon qu’a gravé
L’effort continuel du marteau soulevé,
Et qu’on veut au passant tendre une main robuste.
Je vous prie à deux mains. Ce n’est pas trop injuste
Que ce soit le plus vieux qui cède le premier.
— Laissez-moi retourner tout seul à l’atelier.
Voilà tout. Maintenant, dites si ça vous fâche. »
 
Un d’entre eux fit vers moi trois pas et me dit :

                                                                 « Lâche ! »
Alors j’eus froid au cœur, et le sang m’aveugla.
Je regardai celui qui m’avait dit cela.
C’était un grand garçon, blême aux reflets des lampes,