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accoutumé que l’être innocent qui en était l’objet à réfléchir sur la dépravation de l’espèce humaine ; mais il ne fit éprouver à Gertrude qu’une sensation vague et générale de crainte.

— Pourquoi me regardez-vous ainsi, ma gouvernante… ma mère ? s’écria-t-elle en se penchant sur sa compagne, et en appuyant une main sur son bras d’un air suppliant, comme pour la tirer de sa rêverie.

— Oui, je parlerai : il y a moins de danger à ce que vous sachiez tout qu’à laisser plus long-temps votre innocence dans l’erreur. Je me défie du vaisseau sur lequel nous sommes et de tous ceux qui en font partie.

— De tous ? répéta sa pupille en jetant autour d’elle un regard craintif et presque égaré.

— Oui, de tous.

— Il peut y avoir des hommes méchans et malintentionnés dans la flotte de sa majesté, mais nous sommes à l’abri de toute entreprise téméraire de leur part. Si ce n’est la crainte de la honte, au moins celle du châtiment nous protégera.

— Je crains que les êtres qui nous entourent ne reconnaissent d’autres lois que celles qu’ils font eux-mêmes, ni d’autre autorité que la leur.

— Mais, s’il en était ainsi, ce seraient des pirates !

— C’est ce que je crains.

— Des pirates ! Quoi ! tous ?

— Oui, tous. Si l’un est coupable d’un tel crime, il est clair que ses compagnons ne peuvent être à l’abri du soupçon.

— Mais, ma chère dame, nous savons que l’un d’eux, du moins, est innocent, puisqu’il est venu avec nous, et dans des circonstances qui ne peuvent nous laisser aucune crainte à cet égard.

— Je ne sais. Il y a différens degrés de bassesse, comme il y a différentes manières de se conduire bassement. Je crains bien que tout ce qu’il y a de vertueux sur ce vaisseau ne soit rassemblé ici.

Gertrude sentit que ses genoux fléchissaient sous elle ; elle tremblait de tous ses membres et éprouvait une émotion dont elle ne pouvait se rendre compte à elle-même.

— Puisque nous savons d’où il vient, dit-elle à voix basse, je pense que vous ne lui rendez pas justice, quelque fondés que puissent être vos soupçons à l’égard des autres.

— Il est possible que je me trompe en ce qui concerne M. Wil-