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— Les opinions diffèrent : les uns disent oui, les autres non. Mais je connais parfaitement un homme qui a voyagé une semaine dans la compagnie d’un marin qui, emporté par une bourrasque, a passé à la distance de cent pieds de ce vaisseau. Bien lui en a pris que la main du Seigneur se fît sentir si puissamment sur les flots, et que le Corsaire eût assez à faire d’empêcher son propre bâtiment de s’abîmer. L’ami de mon ami vit donc parfaitement et le vaisseau et le capitaine, sans courir le moindre danger. Il disait que le pirate était un homme qui pouvait être plus gros de moitié que le grand prédicateur, là-bas, qu’il avait des cheveux de la couleur du soleil dans un brouillard, et des yeux qu’aucun homme n’aimerait à regarder une seconde fois. Il le vit aussi bien que je vous vois ; car le coquin se tenait sur le tillac de son vaisseau, faisant signe à l’honnête marchand, d’une main aussi large qu’un pan d’habit, de ne pas avancer, de crainte que les deux navires ne l’endommageassent en se heurtant.

— C’était un intrépide marin que ce marchand, pour oser approcher si près d’un pareil brigand sans pitié.

— Je vous assure, Pardon, que c’était diablement contre sa volonté. Mais la nuit était si obscure !

— Obscure ! interrompit l’autre. Comment réussit-il donc à voir si bien ?

— C’est ce que personne ne saurait dire, répondit le tailleur : mais pour ce qui est de voir, il a bien vu tout ce que je vous ai dit. Bien plus, il a pris bonne note du vaisseau, afin de pouvoir le reconnaître, si le hasard ou la Providence le remettait jamais sur son passage. C’était un long bâtiment noir, enfoncé dans l’eau comme un serpent dans le gazon, ayant un air de scélératesse diabolique, et d’une dimension tout-à-fait malhonnête. Ensuite tout le monde dit qu’il paraît voguer plus vite que les nuages, et qu’il semble s’inquiéter peu de quel côté souffle le vent ; aussi ajoute-t-on qu’il n’est pas plus facile d’échapper à sa poursuite qu’au traitement qu’il vous prépare. D’après tout ce que j’ai entendu dire, il a quelque rapport avec ce bâtiment négrier là-bas qui a mouillé la semaine passée, Dieu sait pourquoi, dans notre havre d’entrée.

Comme le tailleur babillard avait nécessairement perdu beaucoup de momens précieux à raconter l’histoire qui précède, il se mit alors à les réparer avec une extrême activité, en aidant le raide mouvement de la main tenant l’aiguille par des gestes