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cun. À quel homme de loi, à quel schérif vous proposez-vous de vendre vos nouvelles ?

— Je n’ai de relations qu’avec un seul, et cela pour mes propres affaires, répondit le vieillard sans manifester la moindre crainte, et en montrant le ciel d’un air imposant. Ce juge sait tout ; il n’a pas besoin que je lui apprenne rien, et vous feriez de vains efforts pour lui cacher quelque chose, même dans ce désert.

Les deux émigrants furent frappés du ton simple et solennel du Trappeur. Ismaël était morne et pensif, tandis que son compagnon jetait à la dérobée un regard involontaire sur le firmament, qui roulait des flots d’azur au-dessus de sa tête, comme s’il s’attendait à voir le juge suprême assis en effet sous la voûte céleste. Mais les impressions graves et sérieuses ne durent pas longtemps sur des esprits peu habitués à réfléchir. L’hésitation d’Ismaël cessa donc bientôt ; il prit la parole, mais son ton, quoique assez sec pour montrer son mécontentement, n’était plus menaçant, et il était évident que le langage ferme et imposant du vieillard avait produit quelque effet, et arrêté les outrages ou au moins les invectives qu’on s’apprêtait à lui prodiguer.

— C’eût été se conduire en ami, répondit-il, et en bon camarade, de donner un coup d’épaule à ces chariots qui s’éloignent, au lieu de vous amuser à rôder ici où personne n’a besoin de vos services.

— Je puis aussi bien, reprit le Trappeur, employer le peu de forces qui me restent à vous aider à traîner ce chariot, tandis que les autres…

— Nous prenez-vous pour des enfants ? s’écria Ismaël avec un ricanement affreux ; et en même temps d’une main vigoureuse il se mit à tirer la petite voiture, qui roula sur l’herbe avec autant de facilité en apparence, que si elle eût été traînée par son attelage ordinaire.

Le Trappeur resta à la même place, et suivit des yeux le chariot qui s’éloignait, jusqu’à ce qu’il eût atteint le sommet de la colline, et qu’il eut disparu à son tour derrière la descente. Alors il se retourna pour contempler l’endroit où avaient campé les émigrants. L’absence de figures humaines aurait à peine excité la plus légère sensation dans l’âme de celui qui était accoutumé depuis si longtemps à la solitude, si l’emplacement n’eût porté des traces qui rappelaient péniblement et ceux qui venaient de