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jetaient qu’une clarté douteuse. Une teinte un peu plus sombre que celle qui régnait sur les bas-fonds indiquait l’emplacement du camp, et de distance en distance une raie plus brillante sillonnait les sommets ondoyants des collines. Du reste, c’était partout le calme profond et imposant du désert.

Mais pour ceux qui savaient si bien ce qui se tramait sous ce voile nocturne et silencieux, la scène avait un intérêt qu’il est impossible de dépeindre. Leur anxiété augmentait graduellement à mesure que les minutes s’écoulaient sans que le plus léger son parvînt à leurs oreilles. La respiration de Paul était de plus en plus forte et précipitée, et Hélène éprouva plus d’une fois une frayeur involontaire en le sentant tressaillir tout à coup, tandis qu’elle cherchait sur son bras un appui protecteur. La bassesse et la cupidité de Wencha se sont déjà montrées dans tout leur jour. Le lecteur ne sera donc pas surpris d’apprendre qu’il fut le premier à oublier les règles qu’il s’était prescrites lui-même. Ce fut au moment même où nous avons laissé Mahtoree s’abandonnant à ses transports de joie immodérés en voyant le nombre et la qualité des bêtes de somme d’Ismaël, que l’homme qu’il avait choisi pour veiller sur ses prisonniers se fit un malin plaisir de tourmenter ceux qu’il était de son devoir de protéger. Penchant la tête près des oreilles du Trappeur, il lui dit d’une voix basse et presque étouffée :

— Si les Tetons perdent leur grand chef par les coups des Longs-Couteaux[1], les vieux mourront aussi bien que les jeunes !

— La vie est dans la main du Wahcondah[2], répondit le vieillard sans s’émouvoir ; le guerrier intrépide est soumis à ses lois aussi bien que ses autres enfants. Les hommes ne meurent que lorsqu’il lui plaît, et aucun Dahcotah ne peut en changer l’heure.

— Regarde ! reprit le sauvage en faisant briller la lame de son couteau aux yeux de son prisonnier ; Wencha est le Wahcondah d’un chien.

Le vieillard leva les yeux sur son farouche gardien : l’expression d’un profond dédain et d’une vertueuse indignation se peignait dans tous ses traits ; mais elle s’effaça presque aussitôt pour faire place à celle, sinon de la douleur, du moins de la pitié.

— Pourquoi un homme fait à la véritable image de Dieu s’offenserait-il des propos d’un être qui n’a pas eu les mêmes dons

  1. Les blancs sont ainsi appelés par les Indiens à cause de leurs sabres.
  2. Le Grand-Esprit, l’Être Suprême que les Indiens appellent aussi Atabacan.