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— Vous voyez mes guerriers et mes chevaux.

— Quoi ! la jeune femme a-t-elle les pieds d’un Dahcotah, pour pouvoir marcher pendant trente jours dans les Prairies, et cela sans succomber ! Je sais que les hommes rouges des bois font de longues marches à pied ; mais nous qui demeurons là où l’œil ne peut voir d’une habitation à l’autre, nous aimons nos chevaux.

À cette remarque, le Trappeur hésita à son tour. Il savait très-bien qu’en cachant la vérité il courait les plus grands dangers si la ruse venait à être découverte ; d’ailleurs c’était un rôle qui répugnait à son caractère plein de franchise ; mais réfléchissant qu’il ne s’agissait pas seulement de lui, et qu’il avait deux compagnons dont l’existence était également compromise, il se décida en une minute à laisser les choses prendre leur cours, et à laisser le chef dahcotah se tromper lui-même, s’il le voulait. Sa réponse fut donc évasive.

— Les femmes des Sioux et celles des blancs, dit-il, ne sont pas du même Wigwam. Un guerrier teton voudrait-il élever sa femme au-dessus de lui-même ? Je sais qu’il ne le voudrait pas ; et cependant mes oreilles ont entendu dire qu’il y a des pays ou les conseils sont tenus par des squaws[1].

Un léger mouvement qui se fit de nouveau parmi les sauvages apprit au Trappeur que, si sa déclaration n’inspirait pas de défiance, elle causait du moins quelque surprise. Le chef seul resta impassible, et continua à conserver toute sa dignité.

— Mes pères blancs qui demeurent près des grands lacs, dit-il au vieillard, ont déclaré que leurs frères du côté du soleil levant ne sont pas des hommes ; et je vois à présent qu’ils n’en imposaient point. — Allez ! — Qu’est-ce qu’une nation dont le chef est un squaw ! Vous êtes donc le chien et non point le mari de cette femme ?

— Je ne suis ni l’un, ni l’autre. Jamais je n’avais vu sa figure avant ce jour. Elle est venue dans les Prairies parce qu’on lui a dit qu’il s’y trouvait un peuple grand et généreux, nommé les Dahcotahs, et qu’elle voulait voir des hommes. Les femmes des blancs, comme les femmes des Sioux, ouvrent leurs yeux pour voir des choses qui sont nouvelles ; mais elle est pauvre comme moi, et comment se procurera-t-elle du blé et des buffles, si vous lui prenez ainsi qu’à son ami le peu qui leur reste ?

  1. Nom indien qui signifie femme.