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tant à voyager qu’il n’y aurait pas grand mal qu’on lui fît voir un instant les bords de l’autre mer ; mais le vieux drôle est loin d’être préparé à entreprendre le long voyage ; moi-même je brûlerais une amorce en sa faveur, avant de le laisser assommer tout à fait.

— Sa troupe est nombreuse et bien armée ; pensez-vous qu’ils se défendent ?

— Écoute, vieux Trappeur : peu d’hommes détestent plus cordialement que moi Ismaël Bush et ses sept fils ; mais Paul Hower dédaigne de médire même d’un fusil de Tenessee[1]. Sachez donc qu’il y a en eux autant de vrai courage que dans aucune famille qui soit jamais sortie du Kentucky, et qu’il ne faudrait pas être manchot pour leur faire mesurer la terre.

— Chut ! les sauvages ont fini leur délibération, et maintenant ils vont se mettre en devoir d’exécuter ce qu’ils auront résolu. De la patience ; les choses peuvent encore prendre une tournure favorable pour vos amis.

— Mes amis ! Ne donnez ce nom à aucun de cette race, si vous faites le moindre cas de mon estime. Ce que je viens de dire en leur faveur ne provient point d’un sentiment d’amitié pour eux ; ce n’est qu’une justice que je leur rends.

— Je croyais que la jeune femme était des leurs, répondit le vieillard un peu sèchement ; si j’ai fait une méprise, il n’y a pas de quoi s’offenser ; l’intention seule fait l’offense.

Les deux doigts d’Hélène se posèrent de nouveau sur la bouche de Paul, et elle se chargea de répondre, ce qu’elle fit avec sa voix douce et conciliante : — Nous devons être tous de la même famille, lorsqu’il est en notre pouvoir de nous rendre mutuellement service. Nous nous abandonnons entièrement à votre expérience, bon vieillard, pour trouver quelque moyen d’apprendre à nos amis le danger qu’ils courent.

— Elle aura du moins servi à quelque chose, dit le chasseur d’abeilles entre ses dents, si les garçons se mettent à travailler comme il faut des peaux rouges !

Il fut interrompu par un mouvement général qui se fit alors

  1. C’est une expression de mépris : un fusil de Tenessee est un fusil de chasse. Il existe une rivalité entre les Kentuckiens et les Tenesséens. Les uns et les autres dédaignent de se servir d’une arme moins honorable que la carabine, qui, il est vrai, tue avec une seule balle et exige la plus grande adresse. Paul Hower donne au fusil de chasse cette épithète de tenesséen comme pour insinuer fièrement qu’on ne s’en sert pas dans le Kentucky.