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arracher. Quoique ses pressentiments eussent dû le préparer à cette conclusion, il n’avait point assez de courage pour envisager la mort en face, et, reculant devant une image qui lui faisait horreur, comme ces êtres lâches et pusillanimes qui cherchent à se cacher à eux-mêmes leur position désespérée, au lieu de se préparer à son sort, il s’était bercé de l’espoir d’y échapper à force de ruse et d’adresse.

— Mourir ? répéta-t-il d’une voix à peine articulée ; un homme n’est-il pas eu sûreté au milieu de ses amis ?

— C’est ce que croyait mon enfant, répondit le squatter en donnant le signal du départ au chariot qui contenait sa femme et ses filles et en examinant froidement l’amorce de son arme ; c’est avec un fusil que vous avez tué mon fils, il est juste que vous périssiez par le fusil.

Abiram jeta autour de lui des regards égarés, et fit un horrible sourire, comme s’il eût voulu se persuader à lui-même et persuader aux autres que ce qu’il venait d’entendre n’était qu’une plaisanterie faite pour éprouver son courage. Mais cette effroyable gaieté ne trouva autour de lui aucun écho. Tout était grave et solennel. Ses neveux cachaient sous un extérieur froid et tranquille la haine qu’ils lui portaient, et la figure de son beau-frère n’exprimait qu’une détermination irrévocable. Cette fermeté calme était mille fois plus désespérante que ne l’auraient été l’emportement et la fureur, qui peut-être auraient fini par lui donner quelque énergie et par provoquer sa résistance, tandis qu’il restait abandonné à ses faibles ressources.

— Frère, dit-il d’un voix gutturale et presque éteinte, vous ai-je bien entendu ?

— Mes paroles sont simples, Abiram White ; vous avez commis un meurtre, et vous devez mourir pour l’expier.

— Où est Esther ? Ma sœur, ma sœur, m’avez-vous abandonné ? Ô ma sœur, entendez-vous ma voix ?

— J’en entends une qui sort du tombeau, répondit Esther au moment où le chariot passait près du coupable, c’est la voix de mon premier-né qui demande justice ; que Dieu vous pardonne ! qu’il fasse miséricorde à votre âme !

Le chariot continua lentement sa route, et Abiram, isolé, vit qu’il ne lui restait plus la moindre lueur d’espérance. Cependant il ne pouvait rassembler assez de courage pour supporter l’idée de la mort, et si ses jambes ne lui eussent refusé le service, il