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L’impression que la scène du matin avait produite sur les enfants d’Ismaël et d’Esther n’avait été ni assez forte ni assez durable pour leur faire oublier les besoins de la nature. Mais tandis que les aînés cherchaient parmi leurs provisions quelque chose de substantiel pour apaiser leur faim, et que les plus petits se poussaient à qui approcherait le plus près d’une grande écuelle, leurs parents étaient occupés d’une manière bien différente. Lorsque le squatter vit que tous, même Abiram, ne songeaient qu’à satisfaire leur appétit, il fit signe à sa compagne abattue de le suivre, et gravit une petite éminence qui bornait la vue du côté de l’est. En se trouvant seuls sur cette crête aride, le couple malheureux se crut encore sur le tombeau de leur fils assassiné. Ismaël s’assit auprès de sa femme sur un fragment de roc ; puis il se fit un moment de silence que ni l’un ni l’autre ne paraissait disposé à rompre.

— Voilà longtemps que nous voyageons ensemble, tant bien que mal, dit enfin Ismaël ; nous avons eu bien des épreuves à subir, et quelques coupes bien amères à vider, femme ; mais rien de semblable à ce qui nous arrive ne s’est jamais rencontré dans notre chemin.

— C’est une lourde croix à porter pour une pauvre pécheresse égarée, répondit Esther en baissant la tête presque sur ses genoux et en se cachant la figure dans ses vêtements, un fardeau bien pesant pour les épaules d’une sœur et d’une mère !

— Oui, oui, et c’est bien le plus embarrassant de l’affaire. Je m’étais préparé sans beaucoup de peine à punir ce Trappeur sans asile ; car il m’avait rendu peu de services, et que Dieu me pardonne de l’avoir injustement soupçonné d’un tel crime ! mais ici je ne puis me venger que par le déshonneur de ma famille. Et cependant un de mes fils aura-t-il été massacré, et son meurtrier restera-t-il impuni ? l’enfant n’aurait jamais un instant de repos !

— Oh ! Ismaël, nous avons poussé les choses trop loin ! voilà ce que c’est que d’avoir voulu trop en savoir. Si l’on n’en eût pas tant dit, nos consciences auraient pu du moins être en repos.

— Esther, lui dit son mari en la regardant d’un air de reproche, il y eut un instant, ma femme, où vous pensiez qu’une autre main avait commis ce meurtre.

— Cela est vrai, cela est vrai ; le Seigneur m’envoya cette pensée en punition de mes péchés ; mais sa miséricorde ne tarda pas