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dans les physionomies de ceux qui l’entouraient. Les voyant graves, mais calmes, et ne trouvant rien dans l’expression de leurs regards qui le menaçât d’une vengeance immédiate, le misérable se sentit revivre ; et dès qu’il fut assis dans le chariot, son esprit artificieux se mit à chercher quelque expédient pour calmer le juste ressentiment de sa famille, ou, s’il ne réussissait pas, les moyens de se soustraire à un châtiment que ses pressentiments lui annonçaient devoir être terrible.

Pendant tous ces préparatifs, Ismaël avait à peine prononcé quelques paroles. Un geste ou un simple coup d’œil lui avait suffi pour faire connaître sa volonté à ses fils, et ce mode silencieux de communication paraissait convenir à tout le monde. Après avoir donné le signal du départ, le squatter mit son fusil sous son bras, jeta sa hache sur son épaule, et prit les devants suivant sa coutume. Esther s’était jetée au fond du chariot où étaient ses filles ; les jeunes gens prirent leurs places accoutumées au milieu du bétail ou près des attelages, et toute la petite troupe se mit en marche comme d’ordinaire, d’un pas lent mais soutenu.

Pour la première fois depuis bien des jours, le squatter tournait le dos au soleil couchant. La route qu’il suivait était dans la direction des pays habités, et la manière dont il marchait suffisait pour apprendre à ses enfants, qui avaient appris à lire ses projets jusque dans son maintien, que leur voyage dans la Prairie tirait à sa fin. Cependant les heures se passaient sans que rien pût faire présumer qu’il se fût opéré quelque révolution subite ou violente dans les desseins ou dans les sentiments d’Ismaël. Pendant tout ce temps il marchait seul à quelques centaines de verges de sa troupe, mais sans donner aucun signe d’émotion extraordinaire. Une ou deux fois seulement on vit ce lourd colosse, debout sur le haut de quelque colline éloignée, le coude appuyé sur son fusil, la tête penchée vers la terre ; mais ces moments d’abstraction étaient rares et de courte durée.

La petite troupe s’avança longtemps dans la direction de l’est sans que le moindre changement fût fait dans l’ordre que nous avons décrit. Habitué depuis longtemps aux difficultés qu’offre la manière de voyager qu’il avait adoptée, le squatter, par une sorte d’instinct, évitait les obstacles les plus insurmontables de la route, se dirigeant à temps à droite ou à gauche, suivant que les inégalités du terrain, l’approche d’un bois ou celle d’une rivière lui en faisaient sentir la nécessité.