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— Rappelez votre chien, dit une voix ferme et sonore avec l’accent de l’amitié plutôt que de la menace ; j’aime un chien de chasse, et je serais fâché de lui faire du mal.

— Vous entendez ce qu’on dit de vous, mon vieux camarade ? dit le Trappeur. Ici, Hector ! Aboyer et gronder, voilà tout ce qu’il sait faire à présent. Ami, approchez sans crainte ; la pauvre bête n’a plus de dents.

L’étranger ne se fit pas attendre : en un instant il était à côté d’Hélène Wade. Il jeta sur elle un regard rapide, comme pour s’assurer de son identité ; puis, avec une promptitude et une impatience qui témoignaient l’intérêt qu’il prenait à cet examen, il se mit à regarder attentivement celui qui l’accompagnait.

— De quel nuage êtes-vous tombé, mon bon vieillard ? dit-il d’un ton de légèreté et d’abandon qui semblait trop naturel pour être affecté ; ou bien demeurez-vous en effet ici dans la Prairie ?

— Voilà longtemps que je suis sur la terre, et jamais, je crois, je n’ai été plus près du ciel que je ne le suis dans ce moment, répondit le Trappeur. Ma demeure, si tant est qu’on puisse dire que j’en aie une, n’est pas fort éloignée. Maintenant puis-je prendre avec vous la liberté que vous êtes si prompt à prendre avec les autres ? D’où venez-vous, et où est votre habitation ?

— Doucement, doucement ; lorsque j’aurai fini mes questions il sera temps de commencer les vôtres. Qui peut vous appeler hors de chez vous à une pareille heure ? Assurément vous ne vous amusez pas à courir après les buffles au clair de la lune ?

— Tel que vous me voyez, je reviens d’un bivouac que des voyageurs ont établi sur cette colline, et je retourne dans mon vigwam[1]. Je ne vois pas que dans tout cela je fasse tort à personne.

— Fort bien. Et cette jeune femme ? vous l’avez prise sans doute pour qu’elle vous montrât le chemin, elle qui le connaît si bien, etvous qui le connaissez si peu !

— Je l’ai rencontrée, comme je vous ai rencontré vous-même, par hasard. Depuis dix longues années je demeure dans ces plaines ouvertes, et c’est la première fois que je rencontre à pareille heure deux créatures humaines ayant des peaux blanches. Si ma présence ici est importune, je continuerai mon chemin. Il est plus que probable que lorsque votre jeune amie aura raconté son histoire, vous serez plus porté à croire la mienne.

  1. Tente. Voyez les notes du Dernier des Mohicans.